| TEXTES ANCIENS MERVEILLEUX!(ou inspirés des textes anciens)
 *** ELECTRETragédie grecque.
 Electre est la fille d'Agamemnon, roi de Mycènes, et de la reine 
        Clytemnestre. Après le meurtre d'Agamemnon par Clytemnestre et 
        son amant Egisthe, Electre put se sauver, et réussit à amener 
        son frère Oreste, en le cachant sous robe, à la cour du 
        roi Strophios, en Phocide. Là il fut élevé en même temps que le fils du 
        roi, Pylade, qui deviendra son ami inséparable et son futur mari.
 
 ******  Extrait de la pièce Electre, de Jean GiraudouxEntracte Lamento du Jardinier
 Moi je ne suis plus dans le jeu. C'est pour cela que je suis libre de 
        venir vous dire ce que la pièce ne pourra pas vous dire.
 Dans de pareilles histoires, ils ne vont pas s'interrompre de se tuer 
        et de se mordre pour vennir vous raconter que la vie n'a qu'un but, aimer.
 Ce serait même disgracieux de voir le parricide s'arrêter, 
        le poignard levé, pour vous faire l'éloge de l'AMOUR. Cela 
        paraitrait artificiel.
 Beaucoup ne le croiraient pas. Mais moi qui suis là, dans cet abandon, 
        cette désolation, je ne vois vraiment pas ce que j'ai d'autre à 
        faire!
 Et je parle impartiallement. Jamais je ne me résoudrai à 
        épouser une autre qu'Electre, et jamais je n'aurai Electre.
 Je suis créé pour vivre jour et nuit avec une femme, et 
        toujours je vivrai seul. Pour me donner sans relâche en toute saison 
        et occasion,
 et toujours je me garderai. C'est ma nuit de noce que je passe ici, tout 
        seul, - merci d'être là, - et jamais je n'en aurai d'autre,
 et le sirop d'oranges que j'avais préparé pour Electre, 
        c'est moi qui ai du le boire; - il n'en reste plus une goutte, c'était 
        une nuit de noces longue.
 Alors qui douterait de ma parole? L'inconvénient est que je dis 
        toujours un peu le contraire de ce que je veux dire,
 mais ce serait vraiment à désespérer aujourd'hui, 
        avec un coeur aussi serré et cette amertume dans la bouche, - c'est 
        amer, au fond, l'orange, -
 si je parvenais à oublier une minute que j'ai à vous parler 
        de la joie. JOIE ET AMOUR, oui. Je viens vous dire que c'est préférable 
        à Aigreur et Haine. Comme devise à graver sur un porche, 
        sur un foulard, c'est tellement mieux, ou en bégonias nains dans 
        un massif.
 Evidemment rien ne va jamais, rien ne s'arrange jamais, mais parfois avouez 
        que cela va admirablement, que cela s'arrange admirablement...
 Pas pour moi... Ou plutôt pour moi!... Si j'en juge d'après 
        le désir d'aimer, le pouvoir d'aimer tout et tous, que me donne 
        le plus grand malheur de la vie, qu'est ce que cela doit être pour 
        ceux qui ont des malheurs moindres! Quel amour doivent éprouver 
        ceux qui épousent des femmes qu'ils n'aiment pas, quelle joie ceux 
        qu'abandonne, après qu'ils l'ont eu une heure dans leur maison, 
        la femme qu'ils adorent, quelle admiration, ceux dont les enfants sont 
        trop laids! Evidemment il n'était pas très gai, cette nuit, 
        mon jardin. Comme petite fête, on peut s'en souvenir.
 J'avais beau faire parfois comme si Electre était près de 
        moi, lui parler, lui dire: "Entrez, Electre! Avez-vous froid Electre?"
 Rien ne s'y trompait, pas même le chien, je ne parle pas de moi-même. 
        Il nous a promis une mariée, pensait le chien, et il nous amène 
        un mot.
 Mon maître s'est marié à un mot; il a mit son vêtement 
        blanc, celui sur lequel mes pattes marquent, qui m'empêche de le 
        caresser,
 pour se marier à un mot. Il donne du sirop d'oranges à un 
        mot. Il me reproche d'aboyer à des ombres, à de vraies ombres, 
        qui n'existent pas,
 et le voila qui essaye d'embrasser un mot. Et je ne me suis pas étendu: 
        me coucher avec un mot, c'était au-dessus de mes forces...
 On peut parler avec un mot, c'est tout!... Mais assis comme moi dans ce 
        jardin où tout divague un peu la nuit, où la lune s'occupe 
        au cadran solaire,
 où la chouette aveuglée, au lieu de boire au ruisseau, boit 
        à l'allée de ciment, vous auriez compris ce que j'ai compris, 
        à savoir: la vérité.
 Vous auriez compris le jour ou vos parents mourraient, que vos parents 
        naissaient ; le jour où vous étiez ruiné, que vous 
        étiez riche ;
 où votre enfant était ingrat, qu'il était la reconaissance 
        même ; où vous étiez abandonné, que le monde 
        entier se précipitait vers vous,
 dans l'élan et la tendresse.
 C'est justement ce qui m'arrivait dans ce faubourg vide et muet. Ils se 
        ruaient vers moi tous ces arbres pétrifiés, ces collines 
        immobiles.
 Et tout cela s'applique à la pièce. Sûrement on ne 
        peut dire qu'Electre soit l'amour même pour Clytemnestre. Mais encore 
        faut-il distinguer.
 Elle se cherche une mère, Electre. Elle se ferait une mère 
        du premier être venu. Elle m'épousait parce qu'elle sentait 
        que j'étais le seul homme, absolument le seul, qui pourrait être 
        une sorte de mère. Et d'ailleurs je ne suis pas le seul.
 Il y a des hommes qui seraient enchantés de porter neuf mois, s'il 
        le fallait, pour avoir des filles. Tous les hommes.
 Neuf mois, c'est un peu long, mais de porter une semaine, un jour, pas 
        un homme qui n'en soit fier. Il se peut qu'a chercher ainsi sa mère 
        dans sa mère elle soit obligée de lui ouvrir la poitrine, 
        mais chez les rois c'est plutôt théorique. On réussit 
        chez les rois des expériences qui ne réussissent jamais 
        chez les humbles, la haine pure, la colère pure. C'est toujours 
        de la pureté. C'est cela que c'est la tragédie, avec ses 
        incestes, ses parricides: de la pureté, c'est à dire en 
        somme de l'innocence. Je ne sais pas si vous êtes comme moi ; mais 
        moi, dans la Tragédie, la pharaonne qui se suicide me dit espoir,
 le maréchal qui trahit me dit foi, le duc qui assassine me dit 
        tendresse. C'est une entreprise d'amour la cruauté... pardon, je 
        veux dire la Tragédie.
 Voila pourquoi je suis sûr, ce matin, que si je le demandais, le 
        ciel m'aprouverait, ferait un signe, qu'un miracle est tout prêt, 
        qui vous montrerait inscrite sur le ciel et vous ferait répéter 
        par l'echo ma devise de délaissé et de solitaire: JOIE ET 
        AMOUR.
 Si vous voulez, je le lui demande. Je suis sûr, comme je suis là, 
        qu'une voix d'en haut me répondrait, que résonnateurs et 
        ampificateurs et tonnerre de Dieu, Dieu si je le réclame, les tient 
        tout préparés, pour crier à mon commandement : JOIE 
        ET AMOUR.
 Mais je vous conseille plutôt de ne pas le demander. D'abord par 
        bienséance. Ce n'est pas dans le rôle d'un jardinier de demander 
        à Dieu un orage,
 même de tendresse. Et puis, c'est tellement innutile. On sent tellement 
        qu'en ce moment, et hier, et demain, et toujours, ils sont tous là-haut,
 tous autant qu'ils sont, et même s'il y en a qu'un et même 
        si cet un est absent, prêt a crier JOIE ET AMOUR.
 C'est tellement plus digne d'un homme de croire les dieux sur parole, 
        - sur parole est un euphémisme, - sans les obliger à accentuer, 
        à s'engager, à créer entre les uns et les autres 
        des obligations de créancier à débiteur. Moi, ça 
        a toujours été les silences qui me convainquent...
 Oui, je leur demande de ne pas crier JOIE ET AMOUR, n'est ce pas?
 S'ils y tiennent absolument, qu'ils crient. Mais je les conjure plutôt, 
        je vous conjure, Dieu, comme preuve de votre affection, de votre voix, 
        de vos cris, de faire un silence, une seconde de votre silence... C'est 
        tellement plus probant. Ecoutez... Merci.
 Ce texte est inspiré de la pièce de Sophocle "Antigone" !!! ( La guerre de Troie n'aura pas lieu)
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